Elektra, une enquête viennoise
Posté par le 23 novembre 2012.En juillet 2013, l’Orchestre de Paris emmené par Esa-Pekka Salonen donnera Elektra de Strauss au Festival d’Aix-en-Provence, dans une mise en scène de Patrice Chéreau. Quelle version choisir ?
Notre bibliothécaire est partie enquêter à Vienne sur les traces de la partition originale de Richard Strauss.
Vous avez dit “nomenclature” ?
Toutes les pièces musicales ne demandent pas le même nombre ni la même nature de musiciens sur scène. Entre une symphonie de Mozart et une pièce de Richard Strauss, le nombre d’instrumentistes sur scène peut passer du simple au double !
Cet élément n’est pas anecdotique : il peut avoir des conséquences importantes sur l’organisation d’un concert, et il faut donc se poser la question des nomenclatures instrumentales très en amont des représentations prévues. Il peut ainsi arriver que la partition exige un nombre de musiciens trop important pour que la scène puisse tous les accueillir ! Dans ce cas, il vaut mieux avoir anticipé le problème, pour choisir une autre œuvre à programmer à la place de celle prévue à l’origine, ou encore pour trouver un arrangement de la pièce musicale qui permette le placement de tout le monde sur scène.
Quelle Elektra pour Salonen au festival d’Aix ?
Cette question vient de se poser pour Elektra, opéra de Richard Strauss que l’orchestre de Paris doit donner en juillet 2013 sous la direction d’Esa-Pekka Salonen, dans le cadre du festival d’Aix-en-Provence. Et elle a causé, un an avant le concert, un événement rarissime dans la vie d’une bibliothèque musicale : un déplacement à l’étranger pour l’examen d’une partition !
Mais comment en est-on arrivé là ? Plusieurs éléments se sont entrecroisés, portant finalement à l’évidence le fait que la seule partition pouvant dénouer le problème se trouvait à l’opéra de Vienne.
Deux ou trois versions ?
L’opéra Elektra existe en deux versions, l’une dite “opéra”, avec un effectif instrumental massif (104 musiciens pour accompagner les chanteurs solistes et le chœur), et une autre version dite “réduite”, plus ramassée avec seulement 96 musiciens nécessaires. Il se trouve que la fosse qui accueillera l’orchestre à Aix-en-Provence n’est pas assez spacieuse pour que l’orchestre puisse donner la version à plus de cent instrumentistes.
Le choix de la version réduite semblait donc s’imposer, mais cette décision imposée par un aspect purement technique pouvait paraître décevante d’un point de vue artistique. La version réduite d’Elektra fait en effet disparaître de l’orchestre quelques instruments rares, aux timbres caractéristiques : le cor de basset, par exemple, sorte de clarinette, ou encore l’heckelphone, de la famille des hautbois.
Esa-Pekka Salonen évoqua alors une version viennoise, combinant les avantages des deux versions connues de l’opéra : moins d’instrumentistes dans l’orchestre que dans la version opéra, mais une nouvelle répartition des parties musicales individuelles permettant de conserver les instruments spéciaux.
Cette version mixte intrigua beaucoup l’orchestre, qui se renseigna auprès de l’éditeur d’Elektra (il s’agit des éditions Boosey & Hawkes, représentées en France par Universal). Malheureusement, et à la grande surprise de l’équipe organisatrice, cette version n’est pas éditée : il s’agit bel et bien d’une particularité de l’opéra de Vienne, qui a “hérité” cette version de Richard Strauss lui-même.
L’enquête se poursuit à Vienne
La seule trace de cette version se trouve donc au Staatsoper de Vienne. Impossible de demander une aide conséquente aux bibliothécaires viennois, déjà fort occupés par la préparation de leurs propres spectacles (l’opéra de Vienne donne 300 concerts par an…). Seule solution : envoyer quelqu’un de la bibliothèque de l’orchestre de Paris sur place pour étudier la partition annotée par Strauss… ce qui fut fait, et organisé presque du jour au lendemain !
Les trois jours prévus à Vienne ne furent pas de trop pour observer aussi bien la partition d’orchestre (c’est-à-dire la partition utilisée par les chefs, qui rassemble toute la musique sur un seul volume) que les parties séparées (autrement dit les partitions individuelles, que les musiciens trouvent sur leur pupitre). Les annotations sur la partition d’orchestre n’étaient en effet pas toujours reprises dans les parties musicales individuelles ; il fallut donc tout regarder dans le détail - heureusement, les corrections sautaient parfois aux yeux !
Les crayons bleu et rouge de Richard Strauss
Il était assez émouvant de consulter cette partition. Datant du tout début du vingtième siècle, elle est déjà très abîmée, sans doute manipulée par bon nombre de chefs et étudiants venus la consulter. L’édition d’origine est rigoureusement identique à celle que l’on trouve aujourd’hui. Mais toute sa valeur vient des nombreuses indications musicales (nuances, accents, phrasés, coupures) qui y ont été apportées aux crayons bleu et rouge par Richard Strauss.
L’opéra de Vienne regorge de partitions anciennes de cette sorte. Gustav Mahler, qui a été le directeur de cette prestigieuse maison, a par exemple laissé bon nombre de partitions annotées de sa main. Le chef Simon Rattle fait référence, dans une interview, à la partition de Tristan qu’il a consultée sur place, et aux notes ironiques de Mahler qu’il y a découvertes : http://mahler.universaledition.com/simon-rattle-gustav-mahler/
Rencontre avec les bibliothécaires de l’Opéra de Vienne
Très enrichissant d’un aspect professionnel, ce voyage à Vienne fut aussi un moment de convivialité et de découverte humaine : les bibliothécaires d’orchestre, souvent confrontés à des problèmes urgents et des caprices d’artistes qui leur rendent la tâche ardue, ont en effet tendance à se comprendre, et donc à bien s’entendre ! Il faut aussi dire que Peter Poltun, bibliothécaire de l’opéra de Vienne, est un personnage très charismatique : ancien diplomate, il a abandonné son premier métier par amour pour la musique. Ses deux assistants, Thomas Heinisch et Mona Lisa Kress, ont eux aussi été très chaleureux, bien que fort occupés par de nombreux musiciens venant à leur rencontre !
L’orchestre de Paris a désormais toutes les cartes en main pour pouvoir interpréter cette version “historique” en juillet prochain au Festival d’Aix…
Mathilde SERRAILLE, bibliothécaire à l'Orchestre de Paris
Les tribulations des partitions au Japon
Si vous étiez musicien dans un orchestre partant pour une extraordinaire tournée en Asie, quel serait votre pire cauchemar ?
Peut-être ouvrir votre chemise de partitions en entrant sur scène, et la découvrir affreusement vide… Rassurez-vous ! Une personne volera immédiatement à votre secours : le (ou la) bibliothécaire d’orchestre. Mais avant de pouvoir vous sauver sur scène, il aura fallu un long travail en amont !
Peut-être ouvrir votre chemise de partitions en entrant sur scène, et la découvrir affreusement vide… Rassurez-vous ! Une personne volera immédiatement à votre secours : le (ou la) bibliothécaire d’orchestre. Mais avant de pouvoir vous sauver sur scène, il aura fallu un long travail en amont !
Quelques mois avant…
Remontons ensemble en mars-avril 2011. La programmation de la saison suivante se dessine déjà dans les arcanes de l’orchestre de Paris… Et pour la bibliothèque d’orchestre, il est l’heure de solliciter les chefs pour connaître quelques grandes lignes du travail à accomplir (quelle édition le maestro souhaite-t-il utiliser ? Et quels coups d’archet ?). C’est dès cette période que la bibliothèque vérifie également les instruments nécessaires à l’exécution de chaque œuvre. Il est en effet assez utile de savoir, pour la disposition du plateau comme pour des raisons budgétaires, que la flûte 2 jouera aussi du piccolo, ou qu’il faut prévoir 5 percussionnistes.
Quelques semaines avant…
Deux mois environ avant le départ, le matériel est rendu disponible aux musiciens. Pour une tournée d’une telle ampleur, l’effervescence est palpable et les instrumentistes sont beaucoup plus nombreux que d’habitude à vouloir “potasser” les partitions chez eux très tôt. Surtout quand le programme cumule quelques œuvres peu jouées et/ou difficiles !
J-14 avant le décollage : les répétitions commencent à Paris. C’est aussi là que les premières failles apparaissent, heureusement colmatables sans trop de problèmes vu que tout est disponible sur place. Une différence entre la partition du chef et celle d’un musicien, une tourne de page mal placée, un bout de scotch à ajouter pour réparer une vieille partition…. Le bibliothécaire d’orchestre est un vrai infirmier prêt à réparer tous les bobos de la musique écrite, pour qu’un accroc sur la partition n’empêche pas la musique de se faire magnifiquement interpréter.
J-14 avant le décollage : les répétitions commencent à Paris. C’est aussi là que les premières failles apparaissent, heureusement colmatables sans trop de problèmes vu que tout est disponible sur place. Une différence entre la partition du chef et celle d’un musicien, une tourne de page mal placée, un bout de scotch à ajouter pour réparer une vieille partition…. Le bibliothécaire d’orchestre est un vrai infirmier prêt à réparer tous les bobos de la musique écrite, pour qu’un accroc sur la partition n’empêche pas la musique de se faire magnifiquement interpréter.
Quelques jours avant le départ…
En fonction de ses impressions à l’issue des premières répétitions, Paavo Järvi peut décider d’ajouter un bis au programme prévu… Dans ce cas-là, le même travail minutieux que d’ordinaire s’impose (commande auprès de l’éditeur, signature de contrats, vérification de l’état du matériel et de l’effectif requis, relecture et copie des coups d’archet pour les cordes…), mais il faut accomplir toutes les étapes beaucoup plus vite ! Et il ne faut pas oublier de prévenir la production : si le bis est joué sur un matériel de location, cela change le budget des concerts !
Nous y sommes !
Il est finalement l’heure de quitter la salle Pleyel pour le Japon. Pas moins de 60 kg de partitions partent dans une caisse spéciale, au milieu de celles prévues pour les instruments de l’orchestre. Le bibliothécaire méticuleux aura pris soin d’y joindre ce qui constitue sa trousse à outils : crayons de papier, gommes, scotch, pour réparer les accidents éventuels. Au prix de quelques heures de travail, il aura aussi préparé des photocopies de « secours » de toutes les partitions, prêtes à être sorties in extremis, au cas où un musicien aussi sérieux qu’étourdi oublierait la sienne dans sa chambre
d’hôtel…
d’hôtel…
Mathilde SERRAILLE, bibliothécaire à l'Orchestre de Paris
Quand les saxos… sonnet
Après une saison 2010/11 qui les a vu pointer leur bec plus qu’anecdotiquement (Berg, Duruflé, Prokofiev, Bernstein, Chostakovitch et, bien sûr, le Boléro), nous comptons de nouveau dans nos rangs, pour cette belle série Rachmaninov, un saxophone (Danses symphoniques, op.45).
La nomenclature officielle de l’orchestre symphonique faisant l’impasse sur ce valeureux chanteur, les saxophonistes ne nous visitent qu’au gré des caprices de la programmation, de loin en loin, tels les musiciens itinérants qu’ils sont par la force des choses.
Mais que fait donc le saxophoniste quand il n’est pas à l’orchestre, épanchant dans un lyrisme parfois un peu mondain une de ces sinuosités crépusculaires dont il a le secret ou plaçant, posément toujours, les exactes ponctuations d’accords au teint aqueux ?
Eh bien, cette “pipe d’or à fumer de la nuit“, comme l’appelait Nougaro, il va l’agiter, le soir, dans les caves enfumées, où, tel une locomotive haut-le-pied, il prend le sien avec panache. Impérial ! Impétueux ! Il pétune ! Il la bouffe, sa bouffarde, ô rutilant reptile. Le roseau qu’il n’embrassait que du bout de ses lèvres, voilà qu’il le chique à gencives glorieuses et le Dr Jekyll est un Hyde splendide, grimaçant et tribal, tonitruant totem, un sorcier du be-bop… un homme averti en vaudou, si j’ose dire.
Un petit clin d’œil, donc, à ces Janus qui savent nous faire apprécier leur jeu, mais aussi le cacher.
Quasimodo ma non troppo
Dans votre pavillon miroitent
Le rond de vos joues enjouées,
Vos prestes phalanges rouées,
Pythies de la note adéquate.
Le rond de vos joues enjouées,
Vos prestes phalanges rouées,
Pythies de la note adéquate.
Nantie d’un bec, non pas cloué,
Que suce ou mord ce masque moite,
Voilà votre crânienne boîte,
À mesurer le vent vouée.
Que suce ou mord ce masque moite,
Voilà votre crânienne boîte,
À mesurer le vent vouée.
De vos clartés nimbées de croches
Et de cette beauté bancroche
J’aime le désaccord tacite ;
Et de cette beauté bancroche
J’aime le désaccord tacite ;
Tandis que dans votre prunelle
Quelqu’africaine ritournelle
Jette son éclair anthracite.
Jean-Marc POLIGNÉ, bibliothécaire à l'Orchestre de Paris
Joyeux Trille
De sueur et d’eau, d’ors et de courbes
Il n’est certes pas économe,
Non plus que de son chant qui tonne,
Et l’ignorer serait d’un fourbe.
Il n’est certes pas économe,
Non plus que de son chant qui tonne,
Et l’ignorer serait d’un fourbe.
Dans le contour de sa couronne
Se presse, cocasse anamorphose,
Tout un petit peuple virtuose,
C’est sa fratrie qui s’époumone.
Se presse, cocasse anamorphose,
Tout un petit peuple virtuose,
C’est sa fratrie qui s’époumone.
Ses élans généreux, ses frasques,
Sont gages d’une nature bonne,
Celle d’un luron qui gasconne
En s’amusant de ses bourrasques.
Sont gages d’une nature bonne,
Celle d’un luron qui gasconne
En s’amusant de ses bourrasques.
Aussi Maestros, épigones,
Amis, magnanimes soyez
Si d’aventure vous oyez
La grande voix qui fanfaronne.
Amis, magnanimes soyez
Si d’aventure vous oyez
La grande voix qui fanfaronne.
Car il vaut bien qu’on lui pardonne,
Le gai trombone.
Le gai trombone.
Jean-Marc POLIGNÉ, bibliothécaire à l'Orchestre de Paris
Wagner et les éditions Schott
Avec l'année Wagner nos orchestres ont joué et jouent encore des extraits d'opéras (ouvertures ou bien par exemple "prélude et mort d'Isolde"). Les chefs demandent les éditions Schott car ceux-ci viennent de refaire tous leur matériels pour la circonstance. Le hic, c'est qu'ils nous ont envoyés les extraits des opéras et non pas les extraits symphoniques. Par exemple, pour l'ouverture de Tannhäuser, l'ouverture en symphonique a au moins 30 pages de partition d'orchestre en plus de celle de l'opéra. Pour le "prélude et mort d'Isolde", ils nous ont envoyés 2 matériels séparés : le prélude qui n'a pas de fin et la mort d'Isolde qui est dans le ton de l'opéra, c'est-à-dire un ton au-dessus du prélude. Le tout est bien sûr injouable comme ça.
La solution est d'utiliser les matériels Breitkopf !
Et enfin, lorsque Schott a refait ses matériels ils ont copié n'importe quoi : il manque des instruments, il y a des fautes de notes, etc...
Monique HALLIER, bibliothécaire à l'Orchestre National de France
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